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Chercher l'harmonie : musique et médiation des conflits

Il existe de nombreux parallèles entre la pratique musicale et la médiation des conflits : l'accord juste, l'écoute, la créativité, la résolution... Néanmoins, au-delà des métaphores, on constate que la musique peut être un outil concret dans la gestion de nos conflits.


Cet article a d'abord été publié sur le site thirdchair.ca


Pendant la nuit du 24 au 25 décembre 1914, sur le front belge, des soldats anglais entendent une mélodie en provenance de la tranchée adverse : il s'agit de "Stille Nacht, heilige Nacht" (en français, "Douce nuit, sainte nuit"). Des bougies sont allumées et une trêve d'un jour est instaurée. Cet épisode a inspiré de nombreux récits et même une adaptation cinématographique.





La musique a un potentiel considérable pour nous émouvoir et, si les conditions sont bonnes, pour nous unir. Elle est un vecteur d'expression formidable pour nos émotions, au moment où les mots peuvent parfois sembler insuffisants. Elle traverse des frontières, voire des tranchées. Elle permet la rencontre entre des peuples, ainsi que l'expression pacifique de leurs identités respectives. Depuis des temps immémoriaux, le rythme facilite des moments de communion et de synchronisation, bien plus efficacement que le langage.


"Rhythm and its entrainment of movement (and often emotion), its power to ‘move’ people, in both senses of the word, may well have had a crucial cultural and economic function in human evolution, bringing people together, producing a sense of collectivity and community." - Oliver SACKS


Peut-être est-ce pour ces raisons que certains médiateurs aiment employer le vocabulaire musical pour décrire la nature de leur travail. En effet, la médiation est un processus de résolution des conflits fondé sur l'écoute mutuelle et la recherche de l'harmonisation des intérêts. Le médiateur mène le processus comme le ferait un chef d'orchestre. Il met les participants "au diapason" en donnant le "La" des règles du respect mutuel. Lorsqu'il relève un besoin d'expression personnelle (un participant qui se lance dans un récit, comme un musicien qui se lancerait dans un solo ou une improvisation), il lui donne sa juste place tout en faisant en sorte que les autres points de vue soient exprimés et entendus. Au moment de la recherche des solutions, le médiateur doit faire régner une atmosphère créative, libre et constructive, proche de celle qui est recherchée par les musiciens de jazz.


A photo by Tadas Mikuckis, showing a hand playing the piano
Crédit photo : Tadas Mikuckis

L'analogie est donc très pertinente en théorie. Cependant, dans la pratique, il est possible d'aller encore plus loin. La musique peut être un outil concret au service des processus de prévention et de règlement des différends.


"Art and peace are both located in the tension between emotions and intellect." - Johan GALTUNG


Tout d'abord, les vertus apaisantes ou, au contraire, stimulantes de la musique peuvent être être d'une grande utilité en situation de conflit. Les recherches les plus récentes en neuropsychologie constatent les effets biologiques de la musique sur de nombreux systèmes de notre cerveau, parmi lesquels on trouve ceux de la récompense, de la motivation et du plaisir, du stress et de la stimulation, de l’affiliation sociale, et même de l’immunité. La musicothérapie est désormais présente dans les hôpitaux, notamment pour apaiser les patients ayant subi une opération, ou encore pour traiter les maladies d'Alzheimer ou de Parkinson. En sélectionnant soigneusement les morceaux, et avec le consentement des parties, l'écoute musicale peut donc servir à faciliter une prédisposition psychologique au dialogue et à la collaboration.


Ensuite, en raison de son lien direct et profond avec nos émotions, la musique peut servir de support pour faciliter l'expression des parties au conflit et stimuler leur qualité d'écoute. Il n'est pas rare qu'une chanson exprime une situation mieux que ne le feraient mille paroles. La musique peut servir à réveiller l'empathie : "écouter de la musique produite par d'autres personnes met en action des processus cognitifs visant à comprendre les intentions, les désirs, et peut-être même les croyances des personnes qui ont produit la musique." (Stefan Koelsch, PhD, psychologue).


Pour un auteur-compositeur comme moi, cette affirmation fait écho à une réalité fondamentale de ma vie, qui est ce besoin de produire de la musique dans le but d'être entendu, de mettre mes émotions en forme, de dire l'indiscible : le deuil, l'incertitude, mais aussi la plénitude, la joie...


La musique crée du lien. Les messages qu'elle permet de passer sont rarement très concrets mais pourtant, elle permet de communiquer des réalités existentielles parfois plus profondes que les mots.


Pas étonnant, donc, que les musicothérapeutes aident des personnes isolées à développer des compétences communicationnelles et cognitives grâce au chant et aux instruments. Des travailleurs communautaires aux quatre coins du globe montent des ateliers de musique pour faciliter la socialisation et l'autonomisation de personnes marginalisées ou de détenus dans les prisons. Dans les programmes scolaires en Norvège, on réveille la sensibilité interculturelle des jeunes et leur tolérance à l'altérité grâce à l'apprentissage des musiques du monde. La musique a même été utilisée dans des processus de réconciliation post-conflit en Afrique du Sud, en Bosnie-Herzégovine ou encore en Corée.


Cela dit, mieux vaut rester prudent. Comme tout processus artistique, il est difficile d'instrumentaliser la musique, et les résultats sont variables en fonction des personnes et des affinités. Les recherches sur ce sujet passionnant continuent, donc, et le blog de Third Chair sera le premier à vous en relater les avancées !


Bibliographie :

  • Olivier Urbain (dir.), Music and Conflict Transformation: Harmonies and Dissonances in Geopolitics, 2e éd., London, I.B.Tauris, 2015

  • John Morgan O’Connell et Salwa El-Shawan Castelo-Branco (dir.), Music and Conflict, 1st edition, Urbana, University of Illinois Press, 2010

  • Michel Rochon, Le Cerveau et la Musique, 1, Montréal, MULTIMONDES, 2018

  • Oliver Sacks, Musicophilia: Tales of Music and the Brain, Revised & Expanded Edition, New York, Vintage, 2008

  • Stefan Koelsch, « A Neuroscientific Perspective on Music Therapy », (2009) 1169 ANYAS 374‑384

  • Mona Lisa Chanda et Daniel J. Levitin, « The neurochemistry of music », (2013) 17-4 Trends in Cognitive Sciences 179‑193

  • Alvaro Echanove, La musique, médiatrice et outil du médiateur : chercher l’harmonie avec des usagers de drogues dans un atelier musical associatif, Mémoire de Diplôme Universitaire de Médiateur, Institut Catholique de Paris, Institut de Formation à la Médiation et à la Négociation, 2017.

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